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Canadian Club, ou quelques mélanges canadiens offerts à un regard étranger

Par le Catherine Bédard

Par club on peut entendre un cercle, le plus souvent fermé, une société partageant des idées communes don't elle débat, ou dont les membres s'entretiennent. Ou encore des habitués se réunissant pour bavarder, lire, jouer, pratiquer une activité. Le mot fait résonner des connotations au spectre très élargi qui vont des privilèges élitistes aux passions les plus populaires. Quoi qu'il en soit, il implique l'idée d'un accès réservé ou celle d'une marque distinctive. Le club canadien dont it est ici question est donc à la fois le lieu, le Centre culturel canadien composé de zones publiques et de zones interdites, et l'assemblée d'artistes qui s'y réunit en une forme de colloque, Persona Volare, un club d'amis aux pratiques diversifiées partageant le désir d'une approche collective, à la fois sensible et envahissante, de lieux investis d'une charge symbolique particulière. Le groupe et le lieu ont l'un sure l'autre l'effet d'un miroir déformant. Ce phénomène permet de poser, à l'écart des idées convenues, la question du rapport entre identité individuelle et identité collective telle qu'il peut se présenter dans le cadre spécifique d'une "distinction canadienne".

Mais, bien que traitant, plus ou moins frontalement, de ces choses sérieuses, notre Canadian Club est une proposition festive qu'un certain nombre d'initiés ne peuvent manquer d'associer au nom de cette brunette eau de vie (le Canadian Club) ayant fait les délices de plusieurs générations de Canadiens. Il n'était pas anodin d'emprunter ce nom de marque de whisky qui à lui seul entendait bien suggérer la tradition anglo-saxonne des vieux pays, l'idée d'une pratique civilisée importée et et adaptée au goût local. Il va sans dire que l'alcool en question, autant que son nom (et peut-être même à cause de lui), est considéré par certains esprits critiques ou des amateurs de plus fins élixirs, avec une certaine réserve. Car, après tout, voilà un objet susceptible de transmettre une certaine idée du Canada, de donner à cette idée une saveur et un effet. En somme, transformé en titre d'exposition, ce nom transporte avec lui l'idée d'un questionnement sur ce que signifie être Canadien et particulièrement dans ce lieu de représentation qu'est par définition et quelles qu'en soit les manières d'exposer son image, le Centre culturel canadien. Or, et c'est la raison de cette "exportation" du nom vers le champ de l'art et de la réflexion artistique, Canadian Club représente la distance entre l'imaginaire d'une génération et l'idée qu'elle se fait des générations précédentes, un object quasi anthropologique comme le montre Michael Davey quand il en remplit effectivement le corps de sese sculptures en forme de "club" de hockey sur glace accrochés au mur tels e dérisoires armes modernes à l'éntrée d'un lieu imposant un certain respect, en l'occurrence ici une bibiolthèque...

Canadian Club nous montre comment un certain nombre d'idées reçues et d'images bien ancrées dans l'imaginaire national ou dans la perception étrangère de cet imaginaire peuvent devenir un matériau artistique, le ressort d'une pensée critique, un object destructible pouvant être mis au service d'une mise en forme visuelle de l'identité. Mais elle nous montre aussi le lieu dans lequel elle se produit et se situe, un élégant hôtel particulier dans la grande tradition architecturale parisienne qui n'a rien d'un club privé ni d'un décor canadien, pour nous le faire parcourir dans ses moindres zones autorisées, publiques. Un écran miniscule pudiquement installé près d'un banal distributeur de café industriel, dans l'ombre, sous l'escalier menant au sous-sol; une étrange machine interactive qu'il faut avoir un certain culot pour faire fonctionner dans l'antichambre des toilettes où personne ne cherche particulièrement à être-vu; une ville suspendue envahie de fumée au tout dernier étage du Centre, là où seules quelques personnes ont l'habitude de se rendre puisque la montée des marches mène à une porte à "accès limité"; un moniteur diffusant en silence un nombre incalculable d'images de couvertures de livres perché sur l'une des étagères de la bibliothèque... les artistes jouent sur la frontière entre ce qui est public, autorisé, attendu, et ce qui s'y oppose, dans une exposition multidisciplinaire où la surprise est de mise.

Si, en raison même de leur puissance évocatrice, les Chutes Niagara (sous forme de vestiges de sets de table souvenir, dans une oeuvre de Carlo Cesta), la neige (loin de l'idée même de paysage, simple matière collante se livrant à diverses formes qu'on dira sculpturales au bout d'une chaussure dans Snow Cones de Michael Davey), les lames de bâtons de hockey sur glace (mais transfigurés en véritables objets d'art semi-précieux laqués de superbes motifs associés à l'idée de vitesse, empruntés l'iconographie conventionelle et peu raffinée des peintures sur camions...) la boîte de crayons de couleur Laurentiens (en particulier le numéro 22 Ciel magenta dont Reid Diamond fait le ressort d'une "page d'histoire" en l'honneur de la chaîne de montagne des Laurentides) ont une dimension relativement ironique dans les pièces qu composent Canadian Club, ce n'est ni une icongraphie ni une doctrine que partagent les artistes réunis dans ce groupe mais une manière de faire et un esprit dont l'ensemble des oeuvres est en quelque sorte la description ou le portrait. Si l'on devait en poser quelques traits, on parlerait d'une tendance partagée à la conception ou la confection d'objets composites, hétérogènes, arythmiques; à la légèreté grinçante ou au trait d'esprit visuel; au rapport à la familiarité et à la disproportion.

Dans ce contexte, Jeunesse Yukon et Greeter de Lorna Mills, défilés impertinents et comiques de mots inventés à partir de condensations insolites entre langues écrite et parlée ou entre des noms propres et des expressions, ont un rapport étroit avec une oeuvre telle que City, de John Dickson, superbe agrègat de buildings génériques en carton dont l'homogénéité apparente cache l'étouffement d'un block compact, ou avec les colliers et pendentifs lumineux de Lisa Neighbour dont l'élégance et le raffinement est le fruit en réalité d'un assemblable de matériaux non précieux qui, lorsqu'on les regarde de près, fracturent l'effet d'ensemble et nous font éprouver l'étrangeté et la disproportion telles qu'elles s'exercent dans le travail du rêve. Disproportion, jeux d'échelle, mais aussi un relatif inconfort du corps et une frustration du regard, sont au coeur de la vidéo silencieuse de Lyla Rye et des impressions qui en sont issues, où une petite fille apparaît, en un contraste monstrueux, aux fenêtres d'une maison de poupée; du bac à sable géant de Brian Hobbs où le spectateur est invité à jouer avec des sculptures de bois géantes difficiles à manipuler pout créer des impressions éphémères; des oeuvres de Johannes Zits et en particulier Body Print, hommage critique à Yves Klein tourné dans un endroit exigu et inconfortable, où la distinction des toilettes hommes/femmes sert de base bien prosaïque à une opération artistique consistant à désinvestir la dimension érotique de son contenu féminin. Klein est symboliquement recadré dans un enceinte inconfortable et une vidéo documentaire nous montre les sujets de l'oeuvre exercer leur choix sur les conventions de représentation de l'image érotique féminine et masculine en découpant des images de magazines destinées à recouvrir l'empreinte de leur corps. Dans une autre oeuvre, In and Out of the Void, Zits, que l'on voit approcher, sans pouvoir y entrer, un carré cleu associé au bleu Klein autant qu'au vide vidéographique , travaille sure l'épaisseur fictive du lieu représenté dans l'image vidéo, ce qui le rapproche d'un enjeu majeur de l'oeuvre de Lyla Rye où une petite fille s'efforce de regarder ce qui se passe du côté visible par le spectateur, et d'intervenir sur cette image fixe incarnée par une maison de poupée. Cette épaisseur non spacieuse, aussi mince qu'elle est chargée, constitue le coeur même des toiles de Rebecca Diederichs, impressionnants patchworks de tapisseries aux motifs pétants et solides, arimés à un mot camouflé constituant l'ancrage même du champ visuel et l'indice de son épaissur. Tendues plutôt qu'accrochées, let toiles sans matière de Rebecca Diederichs constrastent , avec leurs somptueux aplats, avec les circonvolutions spatiales occupant le centre de chaque feuille volante de Kate Wilson. Mais Wilson ne travaille pas autre chose que cette épaisseur fictive, que nie le support artistique, lorsqu'elle développe une à une autant de fromes tournoyant sur elles-mêmes, tels des cyclones ou des masses en pleine métamorphose.

Si les installations vidéo de Lorna Mills répresentent en quelque sort le pôle le plus expressif de l'ensemble des oeuvres composant Canadian Club - avec ces mots grinçants qui font résonner l'hétérogénéité linguistique et culturelle, défilant au sommet de socles-étendards qui fonctionnent commes de joyeuses caricatures de bornes d'informations - celles de Chantal Rousseau en seraient le pôle le plus discret. Dans Tree comme dans BirdLove, l'idée même du défilement et de l'écoulement temporel disparaît dans une image unique et épurée, presque fixe, dont l'animation, simple et répétitive, produit un effect echnique étrangement désuet. L'image prend les traits d'un dessin animé d'un minuscule événement qui renvoie en fait au frémissement et au clignotement inhérent à toute image vidéographique, et donc à cette blancheur immatérielle qui fait ici office de support du dessin. Ces oeuvres portenet sur la réserve en faisant mine de porter sur le trait.

Exposition multidisciplinaire, Canadian Club réunit des pièces utilisant les objets d'un monde domestique ordinaire transformés en supports artistiques et réinvestissant, sous forme d'accessoires déplacés, inusités, une demeure d'apparat et de représentation; des projections mettant en scène des actions sur le thème de la rencontre; des configuration légères (en papier, en sable, en carton) attirant notre attention sur l'instable et l'imminent; des interventions destinées à créer des rencontres intimistes et étincelantes là où l'on ne s'y attnd pas. Autant de détournements, de surprises, de trouées, à base d'éléments solides, fluides ou électroniques, conviant le spectateur à une rencontre plus officieuse avec le lieu, où la limite entre le privé et le public se rapporte à une réflexion sur la frontière entre imaginaire personnel et collectif.

Catherine Bédard

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